Exposition : Simone Guillissen-Hoa, une femme architecte (2024)

C’est une première : expo monographique, au CIVA, dédiée à une architecte belge, sobrement intitulée “Simone Guillissen-Hoa”. Le parcours muséal réalisé à partir de ses archives présente documents personnels et professionnels dans un même plan à l’effet entêtant. L’événement rend sa juste place dans l’histoire de l’architecture belge à cette personnalité éloignée de la figure du génie mais reconnue en son temps, que le travail de chercheurs/euses réhabilite aujourd’hui.

Ce qui affleure ou déborde parfois des vitrines à hauteur de taille sur lesquelles il faut légèrement se pencher pour déchiffrer les documents retraçant la vie et l’œuvre de l’architecte Simone Guillissen-Hoa (1916-1996), c’est l’émotion.

Un seul espace pour cette mise en lumière : pas de maquette grandiose, pas d’effet visuel décoiffant mais quelques objets et œuvres d’art aimées, et des archives, disposées dans ce serpentin vitré formant une suite d’étoiles, ou de pics et de creux. On y déchiffre des lettres manuscrites ou tapées à la machine, on y scrute des photos, on lit des publications de son travail, des documents administratifs – archives autant personnelles que professionnelles, et la distinction n’est pas nécessairement simple à faire tant dans la vie de cette femme les deux se nouent, s’entrelacent.

La sélection opérée (par les deux commissaires de l’exposition Silvia Franceschini et Yaron Pesztat, à moins que ce ne soit par Simone Guillissen-Hoa elle-même) entraîne cette lecture intriquée et favorise l’entrée en intimité, insensiblement soutenue par le minimalisme du dispositif d’exposition.

Exposition : Simone Guillissen-Hoa, une femme architecte (1)

Le long du siècle

Au fil des documents classiquement rangés chronologiquement (mariage des parents, naissance en 1916, milieu social, études, mariage…) se reconstitue une trajectoire qui l’est moins, bousculée par les grands événements historiques du 20e siècle.

Sous le verre, en début de parcours : un exemplaire du livre Love and Duty (adapté au cinéma en Chine au début des années 1930). Écrit par sa mère, l’écrivaine Stéphanie Rosenthal, juive polonaise, il côtoie un des livres de l’exploratrice Alexandra David-Néel, première femme européenne à voyager au Tibet ; les deux femmes font connaissance à Pékin en 1937. Engagée dans la lutte contre les inégalités sociales, féministe, Stéphanie Rosenthal fonde au milieu des années 30 un cercle chinois de l’association Soroptimist (un club féminin international qui existe encore aujourd’hui).

En 1928, la guerre civile chinoise éloigne Simone – elle a 12 ans – et son frère de leurs parents ; les enfants sont envoyé·es à Paris. Quatre ans plus tard, c’est à Bruxelles qu’elle termine ses secondaires, au lycée Dachsbeck, avant d’intégrer la section architecture de la Cambre fondée quelques années plus tôt par Henry Van de Velde dans le but de diffuser les enseignements de l’école allemande du Bauhaus à l’origine du mouvement moderniste.

Proche des cercles marxistes et antifascistes de l’ULB, la jeune femme y rencontre son mari, Jean Guillissen. Résistant, il est exécuté par les nazis au début de la Seconde Guerre mondiale. Elle-même sera arrêtée et emprisonnée peu avant la fin de la guerre. Sur fond noir, quelques tout petit* travaux de broderie arrêtent le regard. Cadeaux échangés entre compagnes de détention, ils constituent des témoignages incroyablement fragiles et puissants, remparts contre le désespoir. Simone Guillissen-Hoa, surnom de résistante “Peggy”, dessinera certaines de ses codétenues politiques, Beppy, Betsy, Ella, Erika, Kiki, Marcelle, Mira, Puck, Renée ou Suzy.

Vie en dehors des cadres

Stagiaire en Suisse, évoluant dans des cercles d’ami·es artistes (dont la peintre liégeoise Mayou Iserentant, la sculptrice Josine Souweine, la créatrice textile et sculptrice Tapta…), fondatrice du premier bureau d’architecte femme en Belgique, Simone Guillissen-Hoa a aussi : divorcé, gardé le nom de son ex-mari pour lui rendre hommage, décidé d’une interruption volontaire de grossesse, élevé seule un fils…, semblant tracer sa vie en dehors des lignes imposées au fil de ses activités et rencontres, les unes amenant les autres et inversem*nt.

Au début de sa carrière, elle réalise quelques commandes publiques, par exemple le centre sportif de Jambes, à côté de Namur, aujourd’hui en état avancé de décrépitude. À partir de 1952, une collaboration s’engage pendant trois ans avec l’architecte belge Jacques Dupuis ; c’est le nom de ce dernier que l’histoire de l’architecture retient. Les deux architectes travaillent ensemble sur 8 projets, notamment sur l’école gardienne de Frameries, ou l’institut pour aveugles de Ghlin.

Exposition : Simone Guillissen-Hoa, une femme architecte (2)

À côté d’une série de maisons plus “modestes”, Simone Guillissen-Hoa signe également pour des client·es plus fortuné·es un petit nombre de villas modernistes à l’étiré horizontal impressionnant, aux murs de vitres laissant la place à la lumière. On lui doit encore la maison de la culture de Tournai, qui vient d’être rénovée. Récemment, le bâtiment comprenant son appartement et son bureau, rue Langeveld à Bruxelles, a été classé.

Union de femmes

Indispensable, le film réalisé pour l’exposition par les artistes Eva Giolo et Aglaia Konrad s’introduit en plan fixe ou lents déplacements dans plusieurs bâtiments conçus par l’architecte, une façon parfaite d’appréhender son approche sans rigidité ; elle a relativement rapidement, selon un carton de l’exposition, renoncé à l’orthodoxie moderniste. Pour dicter formes, matériaux et expression architecturale, les attentes des commanditaires lui importaient autant que le lieu.

La dernière vague de documents exposés offre encore de nouvelles surprises. En 1976, Simone Guillissen-Hoa participe au Congrès international des femmes architectes, organisé en Iran par la femme du shah, Farah Diba, elle-même architecte. Reproduite, la contribution de l’Américaine Denise Scott Brown s’élève notamment contre le star-system (les “men’s clubs”) portant au pinacle des hommes considérés comme des génies. Deux ans plus tard se crée en Belgique l’Union des femmes architectes, cofondée par Simone Guillissen-Hoa. D’autres noms de femmes apparaissent ; elles feront peut-être l’objet de futures expositions.

“Simone Guillissen-Hoa”, jusqu’au 22/09 au CIVA, 55 rue de l’Ermitage à Ixelles. Infos : 02 642 24 50.

Mis en ligne le 2 juillet 2024

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